FAIRE RIRE
Les différents procédés qui font rire les spectateurs.
Pour le comédien que vous êtes, il est important de repérer les "ressorts" utilisés par l'auteur pour chercher à faire rire le spectateur. Ceci vous permettra d'y porter une attention particulière et de les valoriser dans votre jeu, ou par la mise en scène .
Une suggestion: annotez votre texte en conséquence, par un système que vous créerez vous même.
Exemple: surlignages de couleurs différentes en fonction des effets comiques repérés, ou "codes lettres" (CS pour comiqe de situation, CG pour gestes, CM, CP, CR ....) . A vos crayons !
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Le comique de situation
Le comique de situation repose, comme son nom l'indique, sur la situation : c'est d'elle que vient le rire. Elle met en scène les personnages de la pièce dans des situations improbables ou tout simplement drôles en elles-mêmes.
Dans Le jeu de l'amour et du hasard, de Marivaux (1730), Silvia est une jeune fille noble qui se fait passer pour sa servante, Lisette, afin de mieux observer le fiancé qu'on lui a promis, du nom de Dorante. Seul problème dans ce plan parfait : celui-ci a eu exactement la même idée, et il se présente chez Silvia sous les traits de son valet, Bourguignon. Le spectateur peut donc assister à une drôle de conversation, dont il est le seul à connaître les dessous
Dorante : À l’égard du tutoiement, j’attends les ordres de Lisette.
Silvia : Voilà la glace rompue ! Fais comme tu voudras, Bourguignon, puisque cela divertit ces messieurs.
Dorante : Je t’en remercie, Lisette, et je réponds sur-le-champ à l’honneur que tu me fais.
Monsieur Orgon : Courage, mes enfants ; si vous commencez à vous aimer, vous voilà débarrassés des cérémonies.
Mario : Oh ! doucement ; s’aimer, c’est une autre affaire ; vous ne savez peut-être pas que j’en veux au cœur de Lisette, moi qui vous parle. Il est vrai qu’il m’est cruel ; mais je ne veux pas que Bourguignon aille sur mes brisées.
Silvia: Oui ! le prenez-vous sur ce ton-là ? Et moi, je veux que Bourguignon m’aime.
Dorante : Tu te fais tort de dire je veux, belle Lisette ; tu n’as pas besoin d’ordonner pour être servie.
Dans le comique de situation, on trouve également des retournements de situation. Ainsi de la scène 2 de L'Avare, pièce écrite par Molière (1688) : Harpagon, pingre parmi les pingres, découvre que son fils, Cléante, est un très grand dépensier, tandis que celui-ci apprend que son père est un usurier (un homme qui prête de l'argent avec des taux d'intérêts exorbitants).
Harpagon : Comment ?
Maître Simon, montrant Cléante : Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.
Harpagon: Comment, pendard ! c’est toi qui t’abandonnes à ces coupables extrémités !
Cléante : Comment, mon père ! c’est vous qui vous portez à ces honteuses actions !
Mais le comique de situation le plus connu, c'est assurément le quiproquo. Celui-ci résulte d'une situation où deux personnes pensent parler d'une même chose, alors que ce n'est pas le cas. Peuvent s'ensuivre des discussions amusantes pour le spectateur qui, lui, est conscient de la méprise.
Il y a l'exemple de la pièce de Georges Feydeau, La Puce à l'oreille (1907). Cette pièce est entièrement fondée sur le principe du quiproquo : deux personnages, Chandebise, un garçon d'hôtel, mari de Raymonde, et Poche, garçon d'hôtel, se ressemblent à l'extrême et sont confondus par tous les personnages, qui se soupçonnent par ailleurs tous d'adultères mutuels.
RAYMONDE : Grâce ! Grâce ! Ne condamne pas sans m’entendre.
POCHE, ahuri.: Hein ?
TOURNEL, avec volubilité : Les apparences nous accablent, mais je te jure que nous ne sommes pas coupables.
RAYMONDE: Oui ! Il dit la vérité ! Nous ne pensions ni l’un ni l’autre à nous rencontrer.
TOURNEL: Tout ça, c’est la faute de la lettre !
RAYMONDE: La lettre, oui ! … C’est moi, moi qui suis cause de tout ! Je l’avais fait écrire parce que…
TOURNEL : Voilà ! voilà ! c’est l’exacte vérité !
RAYMONDE, s’agenouillant sur la marche: Oh ! je t’en demande pardon ! … Je croyais que tu me trompais.
POCHE.: Moi ! …
RAYMONDE: Ah ! dis-moi, dis-moi que tu me crois ; que tu ne doutes pas de ma parole.
POCHE : Mais oui ! Mais oui ! (Se tordant.) Mais qu’est-ce qu’ils ont ?
RAYMONDE, reculant effrayée par ce rire idiot qui lui paraît sardonique ; et avec énergie.
Ah ! je t’en prie, Victor-Emmanuel… ne ris pas comme ça ! ton rire me fait mal.
POCHE, à qui l’injonction de Raymonde a coupé le rire comme avec un couteau: Mon rire ?
RAYMONDE, revenant à lui : Ah ! Oui ! Je vois ! … Je vois ! … tu ne me crois pas
2 - Le comique de geste
Le comique de geste appartient, plutôt qu'au domaine de la parole, à l'empire physique.
Ce sont des coups de bâtons, des positions ridicules, des expressions du visage, le ton de la voix, ou les costumes extravagants qui provoqueront les rires du public.
On trouve chez Molière un exemple dans la pièce Les Fourberies de Scapin. Celui-ci tire son potentiel comique de la violence comme leçon du valet Scapin sur son maître Géronte. À l'acte III, scène 2, le valet trompe Géronte en lui faisant croire à l'arrivée de spadassins venus le molester et l'invite à se cacher dans un sac. Mais, à la fin, personne d'autre que lui ne frappe.
Un autre exemple fameux, c'est la leçon du Maître de philosophie à Monsieur Jourdain, alias le bourgeois gentilhomme, dans la pièce de Molière (1670)
Maître de philosophie : Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l’ordre des choses, par une exacte connaissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j’ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu’elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu’elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U.
Monsieur Jourdain : J’entends tout cela.
Maître de philosophie : La voix A se forme en ouvrant fort la bouche : A.
Monsieur Jourdain : A, A. Oui.
Maître de philosophie : La voix E se forme en rapprochant la mâchoire d’en bas de celle d’en haut : A, E.
Monsieur Jourdain : A, E, A, E. Ma foi ! oui. Ah ! que cela est beau !
3 - Le comique de mots
Évidemment, dans les leviers pour provoquer le rire du spectateur, il y a les mots... et il s'agit là, forcément, du comique de mots.
Les dramaturges utilisent donc les répliques qu'ils mettent dans la bouche de leurs personnages pour ajouter des touches comiques aux caractères, aux situations, ou aux gestes.
Exemple, chez Molière, un extrait des Femmes savantes, acte II, scène 6 :
Bélise (à la bonne) : Veux-tu offenser toute ta vie la grammaire ?
Martine : Qui parle d'offenser grand-mère ni grand-père ?
Chez Ionesco (Cantatrice Chauve):
MONSIEUR SMITH: Je m'en vais habiter ma Cagna dans mes cacaoyers.
MADAME MARTIN: Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao.
MADAME SMITH: Les souris ont des sourcils, les sourcils n'ont pas de souris.
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4 - Le comique de caractère
(rubrique à rapprocher de "Créer un personnage)
L'auteur, pour faire rire, accentue volontairement à l'excès les défauts d'un ou de plusieurs de ses personnages.
Exemples:
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L’avarice d'Harpagon dans L'Avare de Molière
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La focalisation sur les bourgeois de M. Jourdain, dans Le Bourgeois Gentilhomme, de Molière
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La cupidité mercantile de l'éditeur Moscat dans Vient de paraître d'Édouard Bourdet (1927)
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L’autorité orgueilleuse de Pozzo dans En attendant Godot, de Samuel Beckett (1948)
5 - Le comique de mœurs
Il s'agit pour le dramaturge de peindre les vices et les mœurs de son temps.
Molière est un champion en la matière. Dans Le Malade imaginaire (1673), par exemple, l'auteur dresse un portrait satirique des médecins de son temps, coupables de dérives et d'élucubrations pseudo-scientifiques.
On en trouve un autre exemple dans la pièce Art, de Yasmina Rezza (1994). L'auteure moque les milieux intellectuels et bourgeois pour leur snobisme en mettant en scène un personnage ayant acheté très cher une toile entièrement blanche, et qui est moqué par ses amis :
6 - Le comique de répétition
Il consiste en la répétition, tout au long de la pièce, d'une même chose, qu'il s'agisse d'une réplique, d'une gestuelle, ou d'une situation. À la force, la survenue de cette chose, inlassablement répétée, sera à même de provoquer le rire du spectateur. MOLIERE : Les Fourberies de Scapin (1671). À l'acte II, scène XI, Géronte n'a qu'une réplique à la bouche. Cette réplique, « Que diable allait-il faire dans cette galère ? », est répétée neuf fois en tout dans la scène XI !
Géronte : Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Scapin : Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.
Géronte : Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.
Scapin : La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ?
Géronte : Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Scapin : Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.
Géronte : Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l’action d’un serviteur fidèle.
Scapin : Quoi, Monsieur ?
Géronte : Que tu ailles dire à ce Turc qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande.
Scapin : Hé ! Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d’aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?
Géronte : Que diable allait-il faire dans cette galère ?
Scapin : Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu’il ne m’a donné que deux heures.